La petite Mairie de St Quentin Fallavier va t’elle disparaitre ? suite,

Suite à notre courrier du mois 12 d’octobre 2023 adressé à Monsieur le Maire ainsi qu’à l’ensemble des élus, nous l’avions publié sur notre bloc le 24 octobre 2023 . Lien de l’article : https://wordpress.com/post/patrimoinesqf.wordpress.com/745

Nous vous avions promis de vous tenir au courant. Voici la réponse de la mairie de Saint Quentin Fallavier ci dessous :

Ce bâtiment témoin de notre passé, premier édifice rentrant dans notre patrimoine institutionnel a donc été condamné à disparaitre !!! une fois détruit, c’est une partie de notre histoire qui va s’évanouir dans l’oubli.

Dans une élan d’espoir, l’association vient de réitérer sa demande par courrier auprès des élus de la commune afin de revoir de cette décision prévoyant la démolition prévue pour la fin de l’année. Nous vous laissons en prendre connaissance :

Merci de commenter et partager votre point de vue (attention aucun commentaire a caractère politique ou irrespectueux ne sera publié)

Et merci de partager cet article aux Saint Quentinoises et Saint Quentinois

Pour plus d’information et pour celles/ceux qui n’ont pas lu notre 1er article sur le sujet voici le lien : https://wordpress.com/post/patrimoinesqf.wordpress.com/344

Le Calendrier de l’avent 2023

L’association du Patrimoine Histoire de Saint Quentin Fallavier est content de vous offrir son calendrier de l’avent interactif 2023. Dés le 1er décembre et chaque jour à 8h sur le blog, Vous pourrez découvrir la surprise du jour. Il vous suffira juste de cliquer sur la date du jour.

Merci de partager l’information et n’oubliez pas de vous abonner.

Un Chastelard à Fallavier ? suite

L’anecdote a été rapportée avec des variantes, par exemple lors de la première tentative Chastelard aurait été éconduit par les suivantes de la Reine, qui n’aurait appris l’intrusion que le lendemain matin[1]. Les ennemis politiques de Marie Stuart ont utilisé l’affaire pour lui nuire. Au premier rang des ennemis, John Knox. Dans son Histoire de la Réforme en Ecosse, il consacre quelques lignes à cet épisode : nous donnons ici une traduction « libre » du passage rapportant l’incident :

Par Kim Traynor — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=18701100

« Parmi les gens de la Cour, il y avait un dénommé Chattelett (= Chastelard), un Français, qui jouissait d’une faveur supérieure à celle de tous les autres auprès de la Reine. Lorsqu’il s’agissait de danser (ils appellent cela « danser » l’occasion pour un homme et une femme d’échanger des confidences, mais les hommes sages estimaient qu’une telle conduite s’apparentait davantage à celle qu’on peut avoir dans un lieu mal famé qu’au comportement d’une honnête femme), pour ces danses, la Reine choisissait Chattelett et vice-versa (…) Durant tout cet hiver,

Chattelett fut si présent dans le cabinet de la Reine, que c’est à peine si les Seigneurs de la cour pouvaient l’approcher. La reine appuyait sa tête sur l’épaule de Chattellett et parfois en privé l’embrassait sur le cou. Bien sûr tout ceci restait honorable, c’était une manière aimable de se comporter avec un étranger. Cependant cette familiarité était si grande qu’une nuit il se glissa secrètement sous le lit de la Reine ; mais il fut découvert et sommé de s’en aller. Mais le ton montant, la reine fit appeler le Comte Murray et explosant d’une passion toute féminine, lui confia le soin « puisqu’il l’aimait, de tuer Chattelett et de plus lui laisser jamais dire un mot ». L’autre (Murray) dans un premier temps promit d’agir ainsi ; mais se rappelant le commandement divin contre le versement d’un sang innocent et aussi le fait que nul ne devrait être condamné à la mort sans le témoignage de deux ou trois témoins, il se retourna et se mit à genoux au pied de la Reine en disant : « Madame, j’implore votre grâce de ne pas laisser retomber le sang de cet homme sur ma tête. Votre Grâce l’a traité si familièrement auparavant que vous avez porté atteinte à votre Grandeur … et maintenant s’il doit être éliminé discrètement sur votre seul ordre, qu’est-ce que le monde ira penser ? Je vais donc le déférer à la Justice et lui laisser subir le châtiment qu’il mérite, conformément à la loi. Vous ne le laisserez pas parler, dit la Reine ? Je ferai tout ce qu’il est en mon pouvoir, dit-il pour sauver votre honneur ».

Une fois condamné, « il demanda l’autorisation d’écrire en France pour y faire savoir la raison de sa mort, « Pour estre trouvé en lieu trop suspect » » Dans les lignes qui suivent John Knox rend compte des derniers instants de Chastelard, qu’il juge dignes en raison de son repentir, et conclut en ces termes : « Telle fut la récompense que reçut Chattelett pour avoir dansé avec la Reine, il perdit la tête, sa langue ne devait révéler aucun des secrets de notre Reine »[2].



La version de J. Knox diffère de celle de Brantôme ; la première tentative de Chastelard est ignorée ainsi que le pardon de la Reine ; Marie Stuart y est très charmeuse et violente ; enfin Chastelard fait acte de repentance. Quoi qu’il en soit, Chastelard fut condamné à la décapitation, pour crime de lèse-majesté, car il avait été trouvé sous le lit, armé d’une épée et il aurait reconnu avoir eu l’intention de porter atteinte à l’honneur de la Reine[3]. L’incident était devenu politique, avec des insinuations d’espionnage, et permettait à ses nombreux adversaires de mettre la Reine dans une position délicate et impopulaire.

            Chastelard a connu une gloire poétique posthume étrange ; Brantôme signale avoir vu des poésies que son ami lui avait montrées, mais précise bien qu’aucune n’avait été imprimée. De fait, on a retrouvé un seul poème de Chastelard. La première édition en est donnée dans le tome 1 des mémoires de Messire Michel de Castelnau[4], plus exactement dans les commentaires et notes de l’éditeur qui joint des pièces justificatives, dont le récit de Brantôme, à la fin duquel il ajoute ces lignes :

            « La Tragique aventure de ce seigneur de Chastelard excita une nouvelle curiosité de voir ses ouvrages partout où le bruit en courut, afin de voir sa passion décrite par lui-même : & comme je crois que ce récit pourra donner la même envie à ceux qui l’auront lu, je mettrai ici une des dernières Chansons de ce Cygne mourant ou plutôt de ce Phenix ; car son destin lui mérite ce nom pour la rareté de l’exemple.

            C’est ce poème, avec une orthographe en partie modernisée, dont nous donnons en annexe le texte, réédité dans une étude récente[5].

En revanche, il ne faut accorder aucun crédit à un ouvrage de 150 pages, paru à Londres en 1805, un vrai « faux » littéraire, qui, sous le titre de Effusions of love from Chatelar to Mary Queen of Scotland. Translated from a Gallic manuscript, In the Scotch College at Paris. Interspersed with songs, sonnets, and notes explanatory, by the translator, prétend être une traduction des poésies de Chastelard que le traducteur aurait retrouvées ; l’auteur en est William Henry Ireland qui est bien connu pour d’autres supercheries littéraires.

            Pour finir ce tour d’horizon, signalons la notice que Guy Allard consacre à Pierre de Bocsozel de Chastelard dans sa Bibliothèque du Dauphiné[6] où il synthétise les informations sur ce personnage et l’article Chastelard dans le Larousse.


           L’histoire tragique de Chastelard est bien évidemment reprise, parfois romancée[7], dans toutes les biographies de Marie Stuart, à commencer par une des plus connues, celle de Stefan Zweig (p. 98-103 de l’édition du Livre de poche 1973)[8].

Revenons-en à notre carte postale. Elle assure que Chastelard de Fallavier accompagna Mary Stuart en Écosse ; il ne peut s’agir d’une autre personne que celle du récit de Brantôme. Néanmoins, on remarquera que nulle part ailleurs que sur cette carte postale le personnage n’est appelé Chastelard de Fallavier. Il y a là une étrangeté. Tous les témoignages s’accordent en revanche à le rattacher à la famille Bocsozel.

            À l’époque où se passent ces événements, la seigneurie de Fallavier n’a guère à voir avec les Bocsozel. Le statut de la seigneurie et du château est d’ailleurs assez confus. Si l’on se rapporte à ce qu’en dit Thomas Mermet[9] dans une œuvre inédite[10] :

            « Le roi, en 1530, reprit la forteresse de Falavier. La Cour des comptes y nomma un châtelain, un receveur et un fermier. Le seigneur de Saint-Eusèbe appela de l’arrêt que le dépossédait d’une terre légitimement acquise. La Parlement admit son opposition le 2 juin 1533, et y fit droit le 8 juillet de l’année suivante, malgré les observations et réserves du procureur général ; mais en 1549, la Cour des comptes entérina la requête de ce magistrat, et un arrêt du 12 octobre réunit encore cette seigneurie au patrimoine royal. Le 16 octobre 1573, les commissaires chargés des aliénations du domaine, la vendirent à Jean de Pascal, avec réserve perpétuelle de rachat. Dès le 15 juin 1579, Henri III profita de cette clause.

Nonobstant toutes les décisions des Cours suprêmes et la vente passée à Jean de Pascal, la famille de Combourcier gardait le château fort de Falavier. Enfin des lettres patentes et un arrêt du 12 août 1581, lui rendirent justice. Elle se hâta de se défaire d’un fief sans cesse revendiqué au nom du souverain ».

            La seigneurie et le château passent ensuite, pour un siècle et demi, à la famille des Lesdiguières.

            Récemment, P. Gailleton dans le tableau des propriétaires du château de Fallavier au fil des siècles ne mentionne aucunement Chastelard au nombre des propriétaires. Et il reste très circonspect sur les rapports entre Chastelard et Fallavier ; il rapporte l’anecdote dans un paragraphe consacré à la famille Bocsozel, dont il dit que « c’est probablement l’une des premières familles à avoir été propriétaire du château de Fallavier » ; mais il n’appuie son affirmation sur aucun document ; d’ailleurs, en existe-t-il ? Sur Pierre de Bocsozel il dit simplement qu’il « était plus connu sous le nom de Chastelard. Chastelard était une terre dépendante du fief de Maubec dans le Viennois, terre que ses ancêtres avaient autrefois possédée[11] ».

            Bref, il convient d’être très sceptique sur les rapports entre Chastelard et Fallavier jusqu’à plus ample documentation. L’argument le plus sérieux nous semble être la totale absence de mention de Fallavier dans tous les récits contemporains de cette fâcheuse aventure.

Allons plus loin : les rapports entre la lignée des Bocsozel et Fallavier demandent à être prouvés. La notice de M. Mermet que nous avons citée précédemment reste dans une prudente réserve sur l’histoire de Fallavier avant 1233, année où Guillaume de Beauvoir rend hommage au chapitre de Saint-Maurice de Vienne, et ne mentionne absolument pas la famille Bocsozel dans les possibles seigneurs ayant eu pouvoir sur Fallavier ; il insiste sur « une espèce d’anarchie » dans laquelle tomba la Bourgogne[12] après la mort de Rodolphe-le-Fainéant (970-1032) ; plus précisément,

Par Roman, Joseph (1840-1924) — Description des sceaux des familles seigneuriales de Dauphiné (2e éd.), CC0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=91975645

« nous ne pouvons dire à quelle date précise fut fondée l’antique forteresse de Falaviers » ; et enfin il rappelle que « dans nos pays, avant l’an 1000, les noms de familles n’étaient pas héréditaires et ne passaient pas des pères aux enfants » ; de fait les Beauvoir sont les premiers seigneurs attestés de Fallavier en 1233[13].

Après lui, le baron Raverat reste également très ambigu ; parlant de la forteresse de Fallavier [il orthographie Falaviers], il écrit : Elle remonte à l’époque carlovingienne et dut être un des boulevards du dernier royaume de Bourgogne. Si les seigneurs de Boczosel ne l’ont pas fondée, ils furent du moins chargés, les premiers, de sa défense, par les rois bourguignons, d’abord, et plus tard par les empereurs d’Allemagne, leurs successeurs. Mais l’histoire n’offre sur ces époques reculées que des conjectures. On ne trouve qu’au XIIIe siècle des actes authentiques qui empêchent de s’égarer[14].

            C’est donc simplement en partant du constat que les Bocsozel étaient une puissante famille qu’on a supposé qu’elle avait dû « veiller » sur Fallavier ; sans avancer aucun document.  Le membre le plus ancien de cette famille, Humbert de Bocsozel, est connu à partir de 1093[15]. Remonter au-delà de cette date est actuellement hasardeux. Certes, il y eut par la suite des alliances mariages entre les Beauvoir et les Bocsozel, mais aucune n’implique que les Bocsozel aient été seigneurs de Fallavier.

            Un mémoire universitaire récent présenté par J. Granger à Grenoble en 2022, La famille de Bocsozel, de la fin du XIVe siècle au début du XVIe siècle. Crise et apogée d’une puissante famille noble[16] fait bien apparaître que les liens entre la famille Bocsozel et Fallavier sont extrêmement ténus durant cette période :

               « Un autre François [de Bocsozel] possède des terres en direction de Lyon. Ce François est le fils du précédent : en 1420, il passe des reconnaissances envers Jean Louvet pour son fief de Fallavier. Aucun détail n’est ajouté, seul l’inventaire Marcellier nous complète cette prise de point de vue sur la situation, où on découvre que François y occupe également un office[17] ». J. 

            Qui plus est, le nom de Chastelard est parfois rapproché du village de Sérezin. Le baron Raverat esquisse dans l’ouvrage cité ci-dessus l’histoire de Chastelard :

            « A droite, sur la hauteur, voici le village de Serezin de la Tour, qui est charmant à l’œil, et où se trouve une ancienne maison-forte ayant appartenu à la famille des Boczosel Chatelard. Ce lieu fait souvenir qu’un membre de cette famille, Piraud, seigneur du Châtelard, petit-fils de notre chevalier sans peur et sans reproche, attaché à la cour de Marie Stuart, s’est acquis une certaine célébrité par sa fin tragique, suite de son amour pour la reine d’Ecosse[18] ».

Par R. Brunel, à Lyon — Daniel Delattre, L’Isère, les 533 communes, Grandvilliers : Delattre, 2008, ISBN 2-915907-40-4, EAN 9782915907407., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=38235784

            Et un autre écrivain régionaliste, Gaston Donnet, évoque, lui aussi, le triste destin de Chastelard ; mais il y met plus d’humour, noir, bien sûr !

            « De Montquin à Meyrie, à travers champs, à travers prés. Un pont sur l’Agny, affluent de la Bourbre ; et bientôt la Bourbre elle-même, dominée par Serezin-la-Tour. Il n’y a rien à Serezin-la-Tour, qu’un hameau sous les noyers et dans les vignes… Il n’y a rien qu’une histoire très triste et très touchante :

            Il était une fois un jeune homme qui aimait une reine. Ce jeune homme s’appelait Piraud, comte de Chatelard, seigneur de Serezin-la-Tour ; cette reine s’appelait Marie Stuart.

            Quand vous n’avez pour titres de noblesse qu’un comté de franc-fief ; quand vous n’avez pour biens immobiliers qu’un castel représentant juste 10,000 écus, gardez-vous d’aimer une reine. Notre gentilhomme n’écouta point ces sages conseils. Il assaillit sa dame de sonnets, de rondels et d’épitres.

            Celle-ci lut cette volumineuse anthologie et la trouva bien – la trouva même si bien qu’elle commit l’imprudence de le lui dire. Voilà Piraud dans l’apothéose de ses désirs : il aime et il est aimé !

C’était un homme aux décisions promptes que ce poète dauphinois – et très pratique, quoique poète. Faire des vers à une jolie femme, les lui envoyer, et recevoir de cette jolie femme des compliments sur ses rimes c’est déjà quelque chose. Mais il y a mieux.

            Un soir, dans son lit, au moment de s’endormir, Marie voit soudain se dresser devant elle une ombre ; cette ombre a un pourpoint rouge cerise ; cette ombre, c’est un homme et cet homme, c’est Chatelard. Il met un genou en terre.

            La veuve de François II était-elle de vertu si farouche, ou Chatelard si laid … Quel historiographe nous pourra renseigner ? La vérité est qu’on refusa d’entendre l’amoureux.

            Un autre, plus prudent, s’en serait tenu là. Que croyez-vous que fit notre héros ? Huit jours après, il recommençait.

Marie Stuart et Châtelard (1859) par Gustave Housez (1822-1894)
© Alienor.org, Musée de la Ville de Poitiers et de la Société des Antiquaires de l’Ouest

Et la reine, de plus en plus farouche, le faisait jeter à la porte.

            Ce chassé-croisé aurait pu durer longtemps, si le bourreau n’avait pris tâche d’y mettre fin. Le 22 février 1563, le pauvre Alcindor – terrible châtiment pour mince faute – marchait au supplice.

Il finit en poète. Avant de gravir les degrés de l’échafaud, il récitait les Discours de Ronsard. Et sur le billot, ses dernières paroles allèrent encore à la souveraine, aimée jusque vers la mort, par-delà la mort »[19].

« Piraud, comte de Chatelard, seigneur de Serezin-la-Tour« , selon G. Donnet ; si nous nous référons au mémoire de recherche de J. Granger ci-dessus cité, nous pouvons mieux situer notre personnage dans la grande nébuleuse des Bocsozel ; cette famille comporte cinq branches reconnues par les généalogistes (Maubec, Charly, Martel, Eydoche, Montgontier), et Piraud appartient à la branche de Montgontier ; son père, François de Bocsozel, est Noble Seigneur du Châtelard, de Montgontier, de la maison-forte d’Eydoche et de Charlieu sur Saint-Hilaire[20]. Il n’est donc pas question de Fallavier . A suivre…


[1] F. von Raumer, Contribution to Modern History from the BritishMuseum and the State Paper Office. Queen Elizabeth and Mary Queen of Scots, Londres, 1836, Lettre VI, p. 19-23 est particulièrement intéressant ;  P.F. Tytler, History of Scotland, (3e édition) vol. 5, Edinburgh, 1845, p. 231-232.


[2] On peut trouver le texte original, en anglais du 16e siècle, aux pages 367-369 du tome 2 de The History of the Reformation in Scotland, by John Knox, edited by David Laing, Edinburgh, 1848.

3] On trouve une analyse détaillée de l’épisode dans un article récent de Hervé-Thomas Campangne, « Si je ne suis pas sans reproches, du moins suis-je sans peur » : la passion dévorante de Pierre de Boscosel de Chastelard, dans la revue Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme, vol. 38, n°3, 2015 (n°spécial : Les passions et leurs enjeux au seizième siècle), p. 103-117.

[4] Les memoires de Messire Michel de Castelnau :seigneur de Mauvissiere, illustrez et augmentez de plusieurs commentaires & manuscrits, servans à donner la verité de l’histoire des regnes de François II. Charles IX. & Henry III. & de la regence & du gouvernement de Catherine de Medicis, avec les eloges des rois, reines, princes & autres personnes illustres de l’une & de l’autre religion sous ces trois regnes, l’histoire genealogique de la maison de Castelnau, et les genealogies de plusieurs maisons, par J. le Laboureur, volume 1, Bruxelles, 1731, p. 547-549. Il fut l’ambassadeur de France accompagnant Marie Stuart en Écosse (1561), puis envoyé en Angleterre (en 562, puis après une interruption, en 1563-1567).

[5] Monia Mezzetti, « Édition critique d’un poème de Châtelard », Studi Francesi [En ligne], 172 (LVIII | I) | 2014, http:// journals.openedition.org/studifrancesi/2037 ; DOI : https://doi.org/10.4000/studifrancesi.2037

[6] G. Allard, Bibliothèque du Dauphiné, contenant l’histoire des habitants de cette province qui se sont distingués par leur génie, leurs talents & leurs connaissances, nouvelle édition revue et augmentée, Grenoble 1797, p. 110-111 ; P. Larousse, Grand Dictionnaire Universel du 19e siècle, 1867, t. 3, p. 1062.

[7] Par exemple dans le récit qu’Alexandre Dumas consacre à Marie Stuart dans Les crimes célèbres.

[8] A. Bellesort donne un compte-rendu intéressant de cette biographie dans la Revue des deux mondes du 15 mai 1940, « Le roman de Marie Stuart », vol. 57 (2), où il analyse l’affaire Chastelard aux pages 323-324.

Signalons aussi celle de M. Mignet, Histoire de Marie Stuart, (2 vol.), Paris, 1851.

[9] Avocat, homme politique et historien viennois (1780-1846), qui fut aussi inspecteur des monuments historiques pour le département de l’Isère.

[10] Notice historique sur le château de Falavier et ses seigneurs, p. 14-15 ; le fascicule a été édité en tirage confidentiel et en plusieurs livraisons posthumes dans le Journal de Vienne entre février et avril 1850.

[11] P. Gailleton, Le château de Fallavier. Mémoire d’un village en Dauphiné, 1997, p. 25-26.

[12] Sans entrer dans les détails, on entend par Bourgogne tous les territoires conquis et occupés par les Burgondes aux 5e et 6e siècles ; le royaume burgonde englobait grosso modo la Bourgogne, la Franche-Comté, le Jura, les Alpes, le Lyonnais, le Viennois, toute la vallée du Rhône jusqu’à Arles. Fallavier faisait partie du Viennois.

[13] Notice historique sur le château de Falavier et ses seigneurs, p. 1-3.

[14] Le Baron Raverat, De Lyon à Grenoble, guide artistique et pittoresque, Lyon, 1877, p. 24.

[15] François-Alexandre Aubert de La Chesnaye-Desbois, Badier, Dictionnaire de la noblesse, contenant etc, tome 13, col. 414, Paris 1868 (3e édition).

[16] Mémoire consultable en ligne, https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03890412/document.

[17] Voir p. 95 du mémoire cité ci-dessus : l’auteur renvoie à un document des archives départementales de l’Isère, référence ADI B 3375, f°45à46.

[18] Idem, p. 54.

[19] Gaston Donnet, Le Dauphiné, 1900, p. 10-12.

[20] J. Granger, p. 205.


Un Chastelard à Fallavier ? 1ère partie

En 1866, le grand poète britannique Algernon Charles Swinburne (1837-1909) dédicace une pièce de théâtre « as a partial expression of reverence and gratitude, to the chief of living poets ; to the first dramatist of his age ; to the greatest exile, and therefore to the greatest man of France ; to VICTOR HUGO« .

– Et alors, me direz-vous, quel rapport avec Saint-Quentin-Fallavier ?

– Levons le suspense … Sa pièce a pour titre Chastelard.

– Chastelard, alias Pierre de Bocsozel …

– C’est-à-dire ? – Pierre de Bocsozel, petit fils du grand Bayard, … Il est aussi nommé Pei(y)raud ou Pyraud ; c’est un Bocsozel[1], de la noble lignée dauphinoise qui détint, dit-on, Fallavier. C’est ce personnage qui figure dans toutes les biographies de Marie Stuart. Même les cartes postales du début du 20e siècle mentionnent la présence de ce gentilhomme auprès de Marie Stuart. On peut ainsi lire la légende suivante sur cette carte postale du château de Fallavier :

« Bâti sous l’ère carolingienne. Un des derniers bastions du royaume de Bourgogne. Richelieu voulant faire cesser les discordes entre seigneurs, fit abattre cette forteresse. Chastelard de Fallavier fut au nombre des gentilshommes qui en 1501, accompagnèrent Marie Stuart en Écosse, après la mort de François II ».

            Cette notice, qui se veut sans doute pédagogique, comporte bien des affirmations gratuites, à commencer par la date de 1501, qui est sans aucun doute une erreur de frappe pour 1561…


Remontons un peu plus haut dans le temps : Jeanne du Terrail, dite « la Batarde », est née en 1506 ; son père n’était autre que Pierre, Chevalier Bayard du Terrail (1476-1524) sa mère une demoiselle inconnue, car jamais le Chevalier ne se maria. En revanche, le chevalier est une grande figure héroïque des guerres d’Italie, où il participa à plusieurs campagnes entre 1494 et 1524, d’abord sous Charles VIII, puis sous Louis XII, enfin sous François 1er …

            Faut-il rappeler ses exploits, en particulier son héroïsme lorsqu’en 1504 il réussit à tenir le pont du Garigliano, seul contre 200 Espagnols, d’après le récit qui nous a été transmis ; tellement glorieux que François 1er, le soir même de la victoire de Marignan (1515 pour ceux qui l’aurait oublié…), lui demanda de l’adouber Chevalier. C’est en Italie qu’il fut tué le 30 avril 1524 à Romagnano, petit bourg du Piémont, alors qu’il protégeait la retraite des troupes françaises.

Bayard, par Jacques de Maille (Musée dauphinois. © Domaine public)

Il fut aussi lieutenant général du Dauphiné, et à ce titre assura la gouvernance de la province entre 1515 et sa mort. Il était déjà en route pour la gloire de son vivant, et ce fut le grand humaniste et médecin lyonnais Symphorien Champier qui lui consacra la première biographie, publiée en 1525, devançant ainsi l’ouvrage bien connu de Jacques de Mailles, publié en 1527 sous le pseudonyme du « Loyal Serviteur », La très joyeuse et très plaisante histoire du gentil seigneur de Bayart, une biographie officielle, hagiographique parfois.

Donc, Jeanne du Terrail, l’unique enfant que Bayard eut, épousa François de Bocsozel le 25 mars 1525 ; la famille Bocsozel est une noble et antique famille du Viennois. Ils eurent cinq enfants, le premier s’appelant Pierre, le troisième Peyraud (ou Piraut) (1540-1563), qu’on a parfois confondu avec le premier ; c’est ce dernier dont nous allons rapporter la triste et authentique histoire.

Après la mort de François II, le 5 décembre 1560, à l’âge de 16 ans, au sortir de ce règne bref d’à peine un an et demi, Marie Stuart, son épouse, reine de France, qui était aussi reine d’Écosse, quitte définitivement la France et s’embarque à Calais le 14 août 1561, afin de rétablir en Écosse une situation devenue très tendue en raison de la question religieuse[2].

Mary Stuart entre 1558 et 1560, par François Clouet (© Domaine public, Google Art Project.jpg, Wikipedia,).

Une escorte de jeunes nobles de la Cour de France l’accompagne, parmi lesquels Henri de Montmorency Damville, futur connétable de France ; Peyraud de Chastelard, qui était attaché à sa Maison, est aussi du voyage, ainsi que le mémorialiste Brantôme, par qui nous connaissons le destin qui l’attendait. Depuis qu’il était arrivé à la Cour de France quelque temps auparavant, Peyraud était tombé amoureux de la Reine. Il était poète – admirateur et disciple de Ronsard – et ses poésies eurent l’heur de plaire à Marie Stuart. Pour la suite et la fin de l’histoire, nous cédons la parole à un témoin et ami de Chastelard, Brantôme, l’auteur bien connu des Dames galantes, qui rapporte dans ses mémoires la funeste passion de Chastelard[3]. Juste au moment d’aborder en Angleterre, alors qu’un brouillard épais s’était levé, l’auteur raconte une anecdote qui donne le ton sur les sentiments du personnage :


Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme. École française du xvie siècle, Périgueux, Musée d’Art et d’Archéologie du Périgord.© Domaine public

Car sans aucun empêchement, nous arrivâmes à Petit Luc, dont sur le navigage je ferai ce petit incident, que le premier soir que nous fûmes embarqués, le Seigneur de Chastelard, qui depuis fut exécuté en Écosse pour fon outrecuidance, & non pour crime, comme je dirai : il était gentil Cavalier & homme de bonne épée, & bonnes lettres : ainsi qu’il vit [= quand il vit] qu’on allumait le fanal, il dit ce gentil mot, « il ne serait point besoin de ce fanal, ni de ce flambeau pour nous éclairer en mer, car les beaux yeux de cette Reine sont assez éclairants & bastants [= suffisants] pour éclairer de leurs beaux feux toute la mer, voire l’embraser pour un besoin ».

Mais surtout, Brantôme termine le chapitre qu’il consacre à Marie Stuart en racontant le destin de ce gentilhomme, pour rétablir la vérité, tant sur Marie Stuart que sur Chastelard.

            Si faut-il avant que je finisse, que je dise encore ceci pour répondre à aucuns que j’ai oüi parler mal de la mort de Chastelard, que la Reine fit exécuter en Écosse, & l’en taxer voire être si malheureux de tenir que par vengeance divine elle avait justement paru comme elle avait fait pâtir autrui. Il faudrait donc à compte qu’il n’y eut nullement de justice, & qu’il n’en faut jamais faire ; & qui en sait l’Histoire n’en blâmera nullement notre dite Reine, & pour ce je la vais raconter pour sa justification.

Ce Chastelard donc fut un Gentilhomme de Dauphiné, de bon lieu, & de bonne part : car il fut petit neveu du côté de la mère de ce brave Monsieur de Bayard, aussi disait-on qu’il lui ressemblait de taille, car il l’avait moyenne, & très belle & maigreline, ainsi qu’on disait que Monsieur de Bayard l’avait, il était fort adroit aux armes & dispos en toutes choses, & à tous honnêtes exercices, comme à tirer des armes, à jouer à la paume, à sauter & à danser.

            Bref il était Gentilhomme très accompli, & quant à l’âme il l’avait aussi très belle, car il parlait très-bien, & mettait par écrit des mieux, & même en rythme, aussi bien que Gentilhomme de France, usant d’une poésie fort douce & gentille en Cavalier.

            Il suivait Monsieur Damville aussi [=ainsi] nommé de ce temps, aujourd’hui Monsieur le Connétable, & lorsque nous fûmes avec Monsieur le Grand Prieur de la Maison de Lorraine & lui, conduire ladite Reine, ledit Chastelard fut avec lui, qui en cette compagnie se fit bien connaître à la Reine ce qu’il était en toutes ses gentilles actions, & surtout en ses rimes ; & entre autres il en fit une d’elle sur une traduction en Italien, car il le parlait & l’entendait bien, qui commence Giova posseder Città Regni, &c. Qui est un Sonnet très bien fait, dont la substance est telle ; De quoy sert posséder tant de Royaumes, Cités, Villes, Provinces, commander à tant de peuples, se faire respecter, craindre & admirer, & voir d’un chacun, & dormir veuve seule & froide comme glace.

Il fit plusieurs autres rimes très belles que j’ai vues écrites à la main, car jamais elles n’ont été imprimées que j’aie vu.

Pierre de Bocosel de Chatelard or Chastelard playing the lute to Mary, Queen of Scots
by Andrew Duncan, after Henri Jean-Baptiste Victoire Fradelle
line engraving, published 1830.
©National Portrait Gallery, London.

La Reine donc qui aimait les Lettres & principalement les rimes, & quelquefois elle en faisait de gentilles, se plut à voir celles dudit Chastelard, & même elle lui faisait réponse, & pour ce lui faisait bonne chère, & l’entretenait souvent, cependant lui s’embrasa couvertement d’un feu par trop haut, sans que l’objet en peuve mais [= puisse mais] car qui peut défendre d’aimer ? On a bien aimé le temps passé les plus chastes Déesses, & Damoiselles, & aime-t-on encore, voire a-t-on aimé des Statues de marbre, mais pour cela les Dames n’en sont à blâmer, si elles n’y adhèrent, brûle donc qui voudra sous feux couverts

Chastelard s’en retourne avec toute la troupe en France, fort fâché & désespéré d’abandonner si bel objet ; au bout d’un an la première guerre vint en France, lui qui était de la Religion combat en soi quel parti il doit prendre, ou d’aller à Orleans avec les autres, ou de demeurer avec Monsieur Damville, & avec lui faire la guerre contre sa Religion[4]. Ce dernier lui est trop amer d’aller ainsi contre sa foi, & contre sa conscience ; de l’autre, porter les armes contre son maître lui déplait grandement, par quoi résout ni pour l’un ni pour l’autre combattre mais de se bannir de France, & s’en aller en Écosse, & laisser battre qui voudra, & là couler le temps. Il en ouvre le propos à Monsieur Damville, & lui découvre sa résolution, & le prie d’écrire à la Reine des lettres en sa faveur, ce qu’il obtint, & ayant pris congé des uns & des autres, il part & [je] le vis partir & [il] me dit Adieu & une partie de sa résolution, car nous étions bons amis.

            Il fait donc son voyage, & l’achève heureusement, si bien qu’étant arrivé en Écosse, & ayant discouru de toute sa résolution à la Reine, elle le reçoit humainement, & l’assure être le bienvenu, mais abusant de cette bonne chère, il voulut s’attaquer à un si haut Soleil, qu’il s’y perdit, comme Phaéton. Car forcé d’amour & de rage il fut si présomptueux de se cacher sous le lit de la Reine, lequel fut découvert, ainsi qu’elle se voulait coucher, mais la Reine sans faire aucun scandale lui pardonna, s’aidant du beau conseil que cette Dame d’honneur fit à sa Maîtresse dans les nouvelles de la Reine de Navarre, lorsqu’un Seigneur de la Cour de son frère coulant par une trapelle, faite par lui exprès en la ruelle, la voulut forcer, de laquelle il n’en rapporta rien que honte, & des belles égratignures, & le voulant faire châtier de sa témérité, & s’en plaindre à fon frère, sa Dame d’honneur lui conseilla que puisqu’il n’en avait eu que de belles égratignures, & honte, il était assez puni, & qu’en pensant faire clair son honneur elle l’obscurcirait davantage : étant l’honneur de tel prix qu’il ne se doit jamais mettre en débat, & tant plus on le veut contendre [=en débattre] tant plus il va au nez du monde ; & puis à la bouche des médisants.

            Notre Reine d’Écosse comme étant sage & prudente passa ainsi ce scandale, mais ledit Chastelard non content, & plus que forcené d’amour y retourna pour la seconde fois, ayant oublié sa première faute & son pardon. Alors la Reine pour son honneur, & à ne donner occasion à ses femmes de penser mal, voire à son peuple s’il le savait, perdit patience, le mit entre les mains de la Justice, qui le condamna tout aussitôt à avoir la tête tranchée, vu le crime du fait : Et le jour venu ayant été mené sur l’échafaud, avant mourir prit en ses mains les hymnes de Monsieur de Ronsard, & pour son éternelle consolation, se mit à lire tout entièrement l’hymne de la mort, qui est très bien fait, & propre pour ne point abhorrer la mort, ne s’aidant autrement d’autre livre spirituel, ni de Ministre, ni de Confesseur.

            Après avoir fait son entière lecture, se tourne vers le lieu où il pensait que la Reine fut, & s’écria haut, « Adieu la plus belle, & la plus cruelle Princesse du monde », & puis fort constamment tendant le col à l’Exécuteur se laissa défaire fort aisément.

            Aucuns ont voulu discourir à quoi il l’appelait tant cruelle, ou si c’était qu’elle n’eut eu pitié de son amour ou de sa vie ; là-dessus qu’eût elle su faire, si après le premier pardon, elle eut donné le second ? elle était scandalisée par tout & pour sauver fon honneur, il fallait que la justice usât de son droit, & c’est la fin de l’Histoire.

            De ce témoignage, on retiendra que Brantôme n’était plus en Écosse quand Chastelard y fit son second séjour, et il doit donc reposer sur le récit d’un témoin. Mais surtout, son intention, annoncée dès le début du passage, est de défendre la Reine contre toutes les attaques malveillantes qui suivirent cet épisode. Pour résumer, la Reine est l’innocence incarnée, et Chastelard a perdu la tête, dans tous les sens du terme ; on peut donc se demander si son récit est véritablement. A suivre…

[1] Sur la famille Bocsozel, voir G. de Rivoire de la Batie, Armorial du Dauphiné, Lyon 1867/Grenoble 1959, p. 82-83.

[2] Marie Stuart était une fervente catholique, alors qu’en Écosse, sous l’influence de John Knox, depuis le 17 août 1560 le parlement écossais a adopté le protestantisme comme religion d’état.

[3] Pierre de Bourdeille Brantôme (seigneur de), Memoires de Messire Pierre de Bourdeille, Seigneur de Brantome contenans les vies des dames illustres de France de son temps, à Leyde, imprimé chez Jean Sambix le jeune, à la sphere, 1665. Les deux passages sont tirés du Discours III, « De la Reyne d’Ecosse Marie jadis Reyne de France », p. 130-131 et p. 168-174 ; mais pour faciliter la compréhension, nous avons modernisé l’orthographe.

[4] Après des années de relations tendues entre protestants et catholiques, le massacre de dizaines de protestants à Wassy, perpétré par le catholique François de Guise, le1ermars 1562, est le déclencheur de guerres de religion qui vont se succéder jusqu’en 1598. Chastelard était de confession protestante, et Brantôme fait part de son dilemme.